Jacques Copeau et la refondation du théâtre
Jacques Copeau est une figure essentielle de l’histoire du théâtre. Son entreprise de refondation bouscule l’art de la mise en scène, le jeu de l’acteur, la pédagogie, le répertoire. Son esthétique du tréteau nu, machine de guerre contre le naturalisme, sa dénonciation de l’argent roi et du cabotinage, l’importance qu’il donne à la troupe, ses recherches pour inventer une commedia dell’arte de notre temps lui inspirent des écrits visionnaires et des pratiques nouvelles. L’aventure qu'il a menée en Bourgogne fut un laboratoire de la décentralisation théâtrale d’une actualité intacte.
Les débuts
Jacques Copeau naît à Paris
Jacques Copeau travaille pendant deux ans à la galerie Georges Petit et collabore comme critique dramatique à de nombreuses revues. Il noue des amitiés avec André Gide, Henri Ghéon, Jean Schlumberger et Andre Ruyters avec lesquels il fonde la Nouvelle Revue Française (NRF) en 1908.
Il adapte pour le théâtre les Frères Karamazov, de Dostoievski et rencontre Charles Dullin et Louis Jouvet, qui s’embarquent avec lui dans l’aventure du Vieux-Colombier.
Le Théâtre du Vieux-Colombier
Désireux de réformer un art qu’il juge dénaturé, Copeau fonde le théâtre du Vieux-Colombier à Paris. Il y jette avec sa troupe les bases d’un art dramatique nouveau, fait redécouvrir les classiques tout en appelant à la naissance d’un répertoire exigeant. L’élan est brisé par la guerre de 1914–1918. Copeau, démobilisé, rencontre des figures d’avant-garde : Adolphe Appia, Edward Gordon-Craig, Emile Jacques-Dalcroze... qui vont nourrir ses recherches.
Jacques Copeau, sa troupe et le Vieux-Colombier s’installent à New York pendant deux ans.
En 1913, Maria Van Rysselberghe, adresse à son ami Copeau une carte postale de Florence reproduisant deux colombes gravées sur un pavement de l’église San Miniato. Les deux colombes de Florence deviennent l’emblème du Vieux-Colombier.
Elles accompagnent Copeau et sa troupe lors de leur séjour new-yorkais.
Elles les suivront jusqu'en Bourgogne, où elles s'installent au fronton de la maison de Pernand-Vergelesses, et dans le village, sur les façades des maisons où vivent des Copiaus.
Le Vieux-Colombier réouvre, à Paris avec un dispositif scénique fixe conçu par Louis Jouvet. Persuadé que la renaissance du théâtre passe par la formation d'acteurs nouveaux, Copeau fonde l’école du Vieux-Colombier avec Suzanne Bing, comédienne de la troupe, et l’écrivain Jules Romains.
L’aventure bourguignonne
Jacques Copeau ferme le Vieux-Colombier. Il quitte Paris avec sa famille, une partie de sa troupe et des élèves de l’école. Ils s’installent en Bourgogne, à Demigny, au château de Morteuil, où ils forment une communauté théâtrale.
Copeau achète une maison à Pernand-Vergelesses pour s'y installer avec sa famille. Une partie des comédiens, élèves, et collaborateurs le suivent.
Ils ont quitté Paris pour la Bourgogne avec Jacques Copeau pour réinventer le théâtre. Bientôt, ils forment une troupe, baptisée les Copiaus par les habitants.
Pour gagner leur vie, ils travaillent dans les vignes ou le cassis et nouent des liens forts avec le village. Ils jouent des spectacles alternant classiques et créations inspirées par le folklore bourguignon, nées de collectes de récits et d’improvisations.
En bas du village, dans une grande salle qu’ils appellent la Cuverie, mais aussi en extérieur durant les beaux jours, les Copiaus s’entraînent, répètent, travaillent dur.
Ils jouent dans des fêtes du vin, sur des places de marché, d’abord dans les villages alentours puis dans des tournées qui la mènent jusqu’en Suisse, en Belgique, en Italie et en Angleterre.
La maison abrite la famille Copeau: Jacques, son épouse Agnès et leur trois enfants Marie-Hélène, Edwige et Pascal. Madame Jeulin dite « La Dadonne » vit dans une des maisons attenantes avec sa famille : elle est la gardienne des lieux, la cuisinière, et la nounou des enfants. Copeau souvent absent, Agnès est la véritable maîtresse de maison. Passionnée de botanique, elle va faire des jardins un petit paradis.
Copeau met fin à l’aventure des Copiaus mais la troupe renaît bientôt à Paris sous le nom de Compagnie des 15.Elle est dirigée par Michel Saint-Denis, le neveu de Copeau, qui jouera un rôle essentiel dans la diffusion des idées de son oncle, au Royaume-Uni, mais aussi au Canada et aux États-Unis.
À la séparation de la troupe bourguignonne, une partie des Copiaus se retrouve à Paris et forme la Compagnie des Quinze menée par Michel Saint-Denis, le neveu de Copeau. Celui-ci sera l’un des acteurs essentiels du renouveau du théâtre britannique : il fondera deux écoles de théâtre à Londres, le London Theatre Studio à Islington, puis l’école du Old Vic Theatre. Co-directeur de la Royal Shakespeare Company, il dirige les plus grands acteurs du pays (Peggy Ashcroft, Alec Guinness, Laurence Olivier…) dans des mises en scène de référence. Plus tard, il crée l’école nationale d’art dramatique à Montréal et le département d’art dramatique de la Juilliard School à New York. En France, après la Seconde guerre mondiale, il fonde et dirige l’école du Théâtre National de Strasbourg.
Marie-Hélène, la fille ainée de Copeau, devient costumière et comédienne pour la compagnie Renaud-Barrault. Jean Dasté, son époux, fondera la Comédie de Saint-Etienne.
Jean Villard-Gilles et Aman Maistre fondent le duo Gilles et Julien qui se produit dans des cafés-concerts. Gilles Margaritis créera la Piste aux étoiles, une émission qui fera découvrir le cirque aux téléspectateurs français. Etienne Decroux se consacrera à l’art du mouvement et sera le maître du mime Marceau…
La Comédie-Française et l’Italie
Copeau fait campagne sans succès pour la direction de la Comédie-Française.
Pendant deux ans, dans le cadre du Maggio Fiorentino, il met en scènes deux spectacles à Florence : le Mystère de Santa Uliva, dans le cloître de Santa Croce et Savonarole, sur la place de la Seigneurerie.
Il retrouve Dullin, Jouvet, Baty, avec lesquels il forme un comité de metteurs en scène autour du nouvel administrateur de la Comédie-Française nommé par le Front Populaire, Edouard Bourdet.
Il remplace provisoirement ce dernier, renversé par une voiture, et finit par prendre sa place, entrainant la démission de Dullin, Jouvet et Baty. Les Allemands exigent et obtiennent le départ des comédiens juifs qui démissionnent de la troupe pour permettre la réouverture du théâtre.
Copeau qui vient d’être confirmé à son poste par les autorités de Vichy, est démis de ses fonctions par les Allemands. Il retourne à Pernand.
Retour en Bourgogne
Copeau retrouve définitivement la maison de Pernand-Vergelesses. Il a le projet de rassembler sous le nom de Registres ses écrits sur le théâtre mais la maladie l’en empêche.
Il anime avec le compositeur Pierre Schaeffer un stage d’exploration du théâtre radiophonique, à Beaune.
Il adapte un mystère médiéval avec André Barsacq, le Miracle du pain doré, dans la cour des Hospices de Beaune pour le 500e anniversaire de sa fondation. C’est son dernier spectacle.
Il meurt à l’hôpital des Hospices de Beaune.
La maison après Jacques Copeau
À la mort de Jacques Copeau, Marie-Hélène, qui a suivi son père dans la voie du théâtre, va travailler avec sa tante Suzanne Maistre, au recueil des textes paternels, et réaliser son projet de Registres. Elles créent l’association Les Amis de Jacques Copeau.
Catherine, sa fille, va également s’engager pour la maison. Toutes deux se battent pour une reconnaissance de l’intérêt patrimonial de la maison de Pernand-Vergelesses auprès des pouvoirs publics mais peinent à l’entretenir.
Catherine crée les Rencontres Jacques Copeau, un petit festival préfigurant un projet de Centre européen de création théâtrale, qui mêle causeries, spectacles et festivités.
Le comédien et chef de troupe Jean-Louis Hourdin, figure importante de la décentralisation, ancien élève du TNS, achète la maison à Catherine Dasté, pour en faire un abri poétique et fraternel.
L'association Maison Jacques Copeau achète la maison, grâce à un don de Jean-Louis Hourdin.
Le projet aujourd’hui plonge ses racines dans cette riche histoire pour offrir un abri poétique et un lieu où se croisent artistes, habitants, publics...